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L’accident (février 2016)
Il y a de ces rencontres fortuites qui, comme des collisions d’étoiles changent le cours des choses et modifient la vie des êtres.
Lorsqu’il arrive au magasin Carrefour, dans un petit village du Cher où il passait ses vacances, pour faire ses emplettes en ce matin d’automne. Gérard ne pouvait s’imaginer que cet arrêt allait bousculer sa vie.
Gérard passe souvent sa vie à se questionner sur les évènements du quotidien et à se demander si les choses qui nous arrivent relèvent du déterminisme ou du libre arbitre. Il allait être confronté dans ses valeurs et ses fondements.
Poussant son charriot devant lui, nonchalamment, il attrape en passant les articles de sa liste mentale, ajoutant en vol quelques autres frivolités au gré de son impulsion.
Martine de son côté, fait ses emplettes journalières dans cette grande surface, sans vie et sans intérêts, sinon qu’elle ne soit pas très loin de chez elle et ne l’éloigne pas trop de son parcours. Familière des lieux, elle passe automate, d’une allée à l’autre, sachant à peu de choses près l’emplacement de chaque article convoité, se contentant de jeter un coup d’œil distrait sur sa liste inscrite dans son téléphone intelligent.
Perdus dans ses pensées, elle contourne une allée et entra en collision avec un autre charriot poussé en sens inverse par un homme élégant , inconnu d’elle et comme sorti d’un autre monde.
L’espace d’un instant, le temps se fige et tout se déroule au ralenti, ni l’un ni l’autre ne prononce un seul mot. D’un côté, Martine subjuguée par la beauté et l’élégance de cet inconnu et Gérard qui ne comprend pas pourquoi cette femme ne regarde pas où elle va en espérant qu’elle ne conduise pas de la même façon sur la route.
Est-il gai, pensa t’elle, si bien vêtu, dans un tel endroit? À cette heure du jour en plus?
Sans comprendre ce qui lui arrive, elle sent son cœur débattre dans sa poitrine, le sang lui monter à la tête et des titillements dans son bas ventre, prise d’une émotion soudaine. La tête légère, les jambes flageolantes, elle essaie tant bien que mal à se donner une contenance. Elle se ressaisit, sortant de sa torpeur, et dans cette éternité de quelques secondes, essaie de balbutier quelques mots d’excuses, mais aucun son ne sort de sa gorge ni de sa bouche grande ouverte.
Qu’est-ce qui m’arrive pensa t’elle?
Gérard est le premier à parler et à réagir poliment, plutôt que de se fâcher.
Je m’excuse, dit-il même s’il n’est pas en faute. Non, dit Martine, c’est plutôt moi. Mille excuses, je ne vous ai pas vu arriver. C’est très rare pour moi de rencontrer quelqu’un à cette heure, réplique Martine, je suis vraiment navrée.
Gérard ne comprend pas non plus ce qui lui arrive. Un courant chaud lui traverse soudain l’échine. Cette dame qui le regarde avec une telle insistance le décontenance.
_ Que me veut-elle au juste et pourquoi me regarde t’elle ainsi?
Je suis Gérard dit-il, je suis en vacances dans le coin pour quelques jours.
Je suis Martine dit-elle. Pour m’excuser, puis-je vous inviter à prendre un café pour me faire pardonner de ma bouderie?
Les mots sont sortis de sa bouche sans qu’elle eu le temps de réfléchir, sans s’en rendre compte. Elle d’un abord si timide et qui s’adresse rarement à des étrangers, voilà qu’elle vient d’inviter un inconnu à prendre un café.
-Avec plaisir dit Gérard, je n’ai pas encore terminé. Je vous rejoins à la sortie et vous m’indiquerez le café.
- Nous n’allons pas très loin, dit Martine. Juste quelques pas sur la place de l’église, à droite en sortant.
- D’accord dit Gérard tout en contournant le panier de Martine pour continuer ses courses.
Elle se retourne juste à temps pour voir la silhouette de Gérard disparaitre de sa vue.
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La traversée
Le bateau quitte finalement le quai en direction du large. Je reste là à la poup , les yeux rivés sur le quai de Jérémie qui s’amenuise jusqu’à ne devenir que quelques lumières blafardes au loin, puis un point qui disparait dans la nuit. La peur, l’émotion et le tangage du bateau ne tardent pas à avoir raison de mon estomac et ainsi débute une vague successive de vomissements qui va durer tout le long du voyage.
Sous les recommandations de ma mère, le Capitaine m’a trouvé un petit coin près de la cabine de pilotage et dès que nous fûmes en mer, je me suis approché de la porte pour lui demander de m’expliquer un peu notre position et vers quelle destination on se dirigeait. Il pointa une carte derrière lui et me montra le tracé du doigt jusqu’à Port-au-Prince, cela me semblait loin. « Si tout va bien, si die vle », nous arriverons demain matin, me dit-il. Les noms des villes n’étaient à mes yeux qu’un fouillis de petits points, ne sachant pas lire, je ne pouvais déchiffrer les noms, il me les énuméra ainsi, « Tu vois on va suivre la côte de près, croisant, Gomier et Roseau, puis on va contourner la petite ile que tu vois là, la grande Cayemite et filer vers le large. Je me suis mis à suivre la côte du bout des doigts jusqu'à l’endroit indiqué pour notre arrivée. « Tu ne sais pas lire, me dit-il l’air songeur? ». Je lui fis non de la tête et il m’expliqua la route citant les noms des villes, dont nous verrons quelques lueurs dans la nuit, en m’indiquant que nous resterons au large et ne passerons pas très près de la côte. Elles avaient des noms assez curieux dans ma tête : Petit-trou-de-Nippes, Grande rivière, Petite Rivière, Miragoâne, Léogâne pour ne nommer que quelques-unes. Je me promets à moi-même qu’un jour, je saurai lire les cartes moi aussi. Le bateau va mettre le cap en direction de l’ile de la Gonâve, m’expliqua-t-il en contournant l’ile de la grande Cayemite et passera dans le canal de la Gonâve ou canal du Sud, pour se diriger au petit matin dans la baie de Port-au-Prince. Je trouve tout cela tellement fascinant, que je serais devenu un marin sur le champ s’il me le demandait. Je lui pose des questions sur son métier et comment il est devenu Capitaine.
Après vingt-cinq ans de maraudage à travers le monde, comme matelot tout d’abord et d’apprentissage divers, il a fait tous les métiers dans un bateau, de la coque au mat, de la poupe à la proue, et de la soute au pont. Il est revenu au pays avec ce vieux rafiot acheté à Miami, économisant chaque sou qu’il gagnait. Il l’a rafistolé et s’est converti dans la marine marchande après mille péripéties pour obtenir un permis d’exercer. Pour ce faire, il a dû graisser une partie de l’administration locale dit-il, tout en continuant de guider le navire vers un point que je ne pouvais voir dans le noir, et qu’il continuait de payer encore aujourd’hui des faveurs diverses du point de départ au point d’arrivée.
Pour arriver à rentabiliser ses voyages, il remplissait le bateau à ras bord et bien au-delà des limites permises par les lois internationales. La marchandise déborde des cales et les passagers doivent trouver des trous au milieu du cargo, quand ce n’est pas directement au-dessus des sacs, pour se coucher pour la nuit. Il m’annonce au grand dam de mon estomac, déjà fragile, que la mer sera houleuse pendant la nuit jusque vers le milieu de l’ile de la Gonâve où nous serons protégés des vents contraires pendant quelques heures.
Je regagne mon coin assigné accoté contre mon baluchon qui contient toutes mes possessions.
Ma mère avait sorti sa plus belle nappe à carreaux bleu et blanc, dans laquelle elle a entassé quelques maigres affaires. Je n’ai pas beaucoup de vêtements et ceux que je possède ont vu de meilleurs jours depuis longtemps. Ce sont des vieux « pèpès » que ma mère avait achetés au marché aux vêtements usagés en provenance de l’étranger et qui s’étaient usés d’avantage au travail de la forge. Elle les a lavés, bien repassés, pliés et les a mises dans mon baluchon. Elle a mis par-dessus les Komparets, sorte de gâteau compact à la mélasse, que je dois remettre à ma tante et à la dame qui doit me recevoir chez elle. Elle a inséré aussi une lettre à remettre à cette dame. Lettre qu’elle avait dictée au professeur de l’école primaire, qui fait office de scribe pour tous les gens du quartier pour quelques sous. Elle n’a plus écrite depuis qu’elle a quitté l’école primaire, ça la gênait d’écrire la lettre et de faire des fautes. Les gens ne sont jamais surs de ce que le scribe écrit, mais tous lui font confiance, au fond, ils n’ont guère le choix. C’est lui aussi qui lit les lettres reçues de l’étranger et que les parents gardent jalousement, malgré le jaunissement des enveloppes qui se ressoudent à cause de l’humidité.
Le contact du baluchon me réconforte, il sent l’odeur de ma mère et de la maison qui me manquent déjà.
Avec le roulis du bateau, bercé par le ronronnement et la vibration du moteur, je m’endors au milieu des sacs et des autres passagers tout près qui occupent chaque centimètre carré disponible. La proximité des corps m’apporte une certaine chaleur et un certain réconfort aidant ainsi à contrer le froid relatif de la nuit sur la mer.
Je ne peux dire combien de temps je suis resté ainsi jusqu’à ce que le tangage insistant du bateau et des chants venant de l’arrière me tirent de mon sommeil. Des bribes me parviennent dans le vacarme des moteurs et le bruit du vent : « Mèt Agwe sou lan-mè, Èzili malad o, gade nap chante ». ( Maitre Agwe sur la mer, Erzulie est malade, écoute notre chant). Je connais la chanson pour l’avoir déjà entendu. Prenant mon courage à deux mains et malgré mes entrailles qui voulaient remonter, la curiosité l’emportant, je me dirige vers l’origine de la chanson. La mer est de plus en plus mouvementée et le bateau secoué de toute part, les femmes prient, chapelet en mains, d’autres reprennent la chanson d’Agwe, leurs voix empreintes de peur. Le Capitaine est debout à l’arrière, un foulard rouge autour du cou, une machette à la ceinture, la casquette retournée vers l’arrière. Il a une bouteille à la main et sur une nappe à même le pont du navire, une table bien garnie de victuailles. Bien que j’aie l’estomac dans les talons, j’ai faim tout à coup. Le Capitaine aidé d’un matelot, nourrit la mer en disant des incantations incompréhensibles, je m’approchais de plus près, et je l’entends dire : « Mèt Agwe, Dyie lan-mè, Dyie ki fò, nou se pitit ou papa, fò ou ban pasaj, fò ou ban la pè »[1]. Il verse une rasade de la bouteille dans la mer et en boit une gorgée. Cela n’a aucune influence sur la mer, qui reste toute aussi agitée, sourde à ses supplications. D’autres nourritures sont jetées par-dessus bord, d’autres rasades, rien n’y fit pour calmer la furie des eaux. Mais là, n’était pas le but, ai-je appris par la suite du Capitaine, ce sont des offrandes à Agwe, pour le remercier de sa compagnie et lui demander d’intercéder auprès de ses maitresses, le vent, la mer et de nous assurer un bon passage et de protéger son bateau.
Je retourne dans mon coin, non sans avoir vomi toute la bile qui me restait dans le corps, la gorge râpe et la bouche pâteuse, j’ai soif et je n’ai rien à boire. Je finis par m’endormir de nouveau au milieu d’un concert de ronflements.
La mer a fini par se calmer, comme avait dit le Capitaine, et le restant de la nuit fut peuplé de rêves les plus bizarres, de gros monstres marins viennent avaler le bateau, je sens leur souffle chaud, j’entends des chants venus de la mer, doux comme des berceuses. Ce ne sont que les bruits du réveil sur le pont qui me tirent de mon sommeil et j’ai pu ainsi assister à notre arrivée au petit matin au quai de cabotage, pas loin du quai de charbon.
La Capitale me semble immense et grossit au fur et à mesure que l’on approche de la terre. Vu de loin, on dirait un fer à cheval dont les maisons sont disposées sur son pourtour et il y en a partout, pas mal plus, en tout cas que dans ma ville.
En un temps record, le bateau a vomi sur le quai tous ses passagers. J’ai tout mon temps pour observer le déchargement des passagers et de la marchandise. Le Capitaine m’a autorisé à demeurer sur le toit du bateau jusqu'à ce qu’on vienne me chercher. Le soleil est déjà haut dans le ciel si tôt le matin et il commence déjà à faire très chaud quand je suis descendu de mon perchoir pour me rendre à l’arrière du bateau où on a tendu une toile pour se protéger du soleil. Il ne reste presque plus rien dans la cale et les matelots sont en train de nettoyer le pont, puisant de l’eau de mer et essuyant avec un grand balai, effaçant les traces de vomissures et même d’excréments en attendant les prochains voyageurs pour le chemin en sens inverse qui se fera à la fin de la journée, juste avant la tombée de la nuit pour une autre traversée.
Ainsi débute mon entrée dans la capitale.
[1] Maitre Agwe, Dieu de la mer, Dieu très fort, nous sommes tes enfants, accorde-nous le passage, accorde-nous la paix.
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Le Motel sur la colline
La pluie tombait drue presque à la verticale, impossible de voir le chemin dans cette nuit poisseuse. Les essuie-glaces peinaient pour chasser l’eau, même à vitesse maximale, ils ne parvenaient qu’avec difficultés à me laisser un petit bout de pare-brise propre pour voir le chemin.
Cela faisait cinq heures que j’avais quitté la ville et que je roulais sur l’autoroute. Comme en être super prévoyant, je n’avais pas pris soin de réserver un endroit pour passer la nuit, je suis un homme après tout, je me trouverai bien une place quelque part, au pire, je dormirai dans la voiture. Mais, voilà, je n’avais pas prévu cette flotte, ni que le trajet serait aussi long. Je suis attendu le lendemain, je commence un nouveau boulot dans une petite ville de campagne et la logeuse où j’ai loué une chambre sait que je vais arriver tard et elle a prévue me laisser une clé sous le paillasson.
- Ne faites surtout pas trop de bruit en entrant, m’a-t-elle dite au téléphone, j’ai le sommeil léger et je grogne quand je n’ai pas mes dix heures de sommeil. Voilà qui commence bien me dis-je.
Je suis sorti de l’autoroute comme la nuit tombait et à tout hasard, me suis mis en quête d’un endroit pour passer la nuit. La station d’essence où j'atteris ne payait pas de mine, faiblement éclairée, je me demandais s’il y avait quelqu’un. Je m’y suis tout de même arrêté pour me renseigner. Je franchis la porte en faisant tinter une cloche qui me semble résonner assez fort pour avertir tout le voisinage.
-Ce sera quoi? Me lance une voix, assise dans un vieux fauteuil défoncé et provenant d’une casquette à l’effigie d’une grande marque d’huile à moteur et portée à l’envers, sans détourner les yeux d’un aussi vieux poste de télé en noir et blanc diffusant je ne sais quelle émission si importante que mon interlocuteur ne daigne même pas se retourner.
-Je cherche un endroit pour passer la nuit, dis-je, y a-t-il quelque chose dans le coin ?
-ici non, répond la voix, il y a un gîte à quelques kilomètres d’ici, peut être que la vieille est là.
-Pouvez-vous m’indiquer le chemin et me dire s’il y a un téléphone où je peux la rejoindre ?
-Elle n’a pas de téléphone répondit la casquette en se levant de peine et de misère, l’œil toujours rivé sur le poste. Il s’est déplié présentant un corps décharné de près de six pieds, pris dans une salopette, trop grand pour lui, ayant vu des meilleurs jours.
-Vous êtes pas d’ici, vous ? Me lance-t-il l’air inquisiteur et inquiet de voir un étranger surgir dans le soir comme ça.
-Cela voit tant que ça, lui dis-je ?
Il sort une carte sans répondre et m’indique le chemin à suivre, une route en terre qui risque d’être détrempée et glissante avec la pluie qui nous tombe dessus.
-Vous voulez pas m’acheter Kok chose, tant qu’a y être, ce sera pour le service. Je regarde autour, tout à l’air crasseux et sale et la marchandise ne semble pas avoir été renouvelée depuis des lunes. Je prends un paquet de biscuits au hasard et lui règle montant. Je ressors affronter la pluie qui m’attend de plus belle. Il m’avait dit qu’il ne fallait pas plus de dix minutes pour m’y rendre, cela fait déjà vingt que je suis sur cette route défoncée et cahoteuse qui à chaque instant risque de m’envoyer dans le décor. Je suis peut être perdu, mais faire demi-tour ne me dit rien qui vaille, je n’ai pas d’adresse, sauf une description de la maison. Tu vas le voir de la route a-t-il dit, c’est d’ailleurs la seule maison à la ronde. Comme de fait, entre deux coups d’essuie-glaces, je vois finalement une lueur en haut d’une côte sur ma gauche, je ralentis pour ne pas rater l’entrée et m’enfonce dans une allée de chênes menant jusqu’à la maison. La nuit est tellement dense et la pluie rend la visibilité presque nulle. Une lumière s’allume dans une petite maison, je m’y arrête et avant que j’aie le temps de cogner, la porte s’ouvre devant une vielle dame aux cheveux remontés dans un chignon, l’air maussade.
-Vous n’allez pas rester planter là comme ça mon garçon, je vais attraper mon coup de mort !
J’entre et lui dit ce que je cherche, elle me demande ce que je fais sur la route par un temps pareil et elle dit, entre les dents, que les jeunes d’aujourd’hui n’ont plus de cerveau, quelle idée stupide ? Continue t’elle de marmonner pour elle-même.
Le décor est un peu spartiate, une table et deux chaises trônent dans la cuisine. Une chaise berçante et un sofa dans ce qui semble être le salon, l’ensemble n’a guère rien de rassurant et je frissonne me demandant où suis-je tombé. Enfin dit-elle, la maison est vide, il ne vient presque plus personne, mon fils loge là-haut, il est absent et Dieu sait où, il est allé se fourrer par un temps pareil. Elle me tend une clé, la plus grosse que je n’ai jamais vu et m’explique qu’elle ouvre la porte d’entrée, de ne pas oublier de refermer comme il faut derrière moi. Elle ne viendra pas me conduire là haut par un temps pareil et de faire attention à ne pas glisser en montant.
Je règle la chambre et sors de nouveau sous la pluie qui a diminué un peu d’intensité. Il faut une minute ou deux pour que mes yeux se fassent à l’obscurité, je prends mon sac dans la voiture et sans bravoure entreprend la montée, le coeur battant la chamade. La nuit m’enveloppe et le froid me pénètre jusqu’aux os, je serre les dents pour ne pas qu’ils claquent. Je guette les bruits aux alentours et j’arrive presqu’en sueurs à parcourir les cents pas qui me mènent à une lourde porte de chêne que je peine à ouvrir tellement mes mains tremblent. J’ai l’impression d’être épié et ne vois personne. Je frisonne et j’ai les trippes noués par la peur, je n’ose même pas me retourner pour regarder en arrière. Je cherche le commutateur à tâtons et une lumière blafarde éclaire enfin pauvrement le rez-de chaussée d’un vieux manoir qui a du voir un faste dans le passé. Je ferme la porte à clé derrière moi et reste le dos accolé à la porte écoutant les bruits du lieu, les pieds dans une mare d’eau créée par mes souliers dégoulinants et mes vêtements mouillés.
Je suis dans un grand vestibule. Au plancher, un large carrelage en grès vétuste, usé par le passage du temps. À gauche, une table ronde en bois d’acajou et quatre chaises, un buffet sur lequel trône un tas d’objets hétéroclite, forme la salle à dîner, au fond en enfilade, la cuisine. À ma droite, le salon, canapé, sofa, table basse de faction assez riche, mais défraîchi. Une horloge Grand-père dans le coin droit tic-tac encore et n’est pas à l’heure. Je regarde ma montre vingt et une heure, je n’ai rien mangé depuis longtemps et me rend compte de ma faim soudainement. Je doute fort qu’il y a quelque chose à manger dans cette maison.
De lourdes tentures de velours, dont je ne saurais dire la couleur, masquent les fenêtres donnant encore un aspect plus lugubre à ce lieu. Tout au fond à droite, un escalier de pierre mène à l’étage et aux chambres. Bien que je sois plus calme, j’ai l’impression que je vais voir apparaître à tout moment en haut des marches, Norman Bates comme dans Psycho.
Prenant mon courage à deux mains, je gravis les marches jusqu’aux chambres qui sont toutes fermées sauf une qui m’est destinée, comme si j’étais attendu. Je trouve la chose "spooky" et je chasse l’idée de mon esprit. Je dépose ma valise, change mes vêtements mouillés et je me mets en frais d’explorer les lieux, les autres chambres sont bel et bien verrouillées, étrange tout de même, me dis-je. Je descends à la cuisine et trouve quelques victuailles dans le frigo, encore, comme si on attendait quelqu’un. Je prends quelques raisins, un morceau de fromage que j’emporte dans ma chambre que je ferme à double tour. Le lit est en bois massif, de format très grand, il me semble énorme. Accroché au plafond depuis un dais sculpté, un grand rideau de velours rouge foncé fait office de ciel de lit et vient s’accrocher de chaque côté de la tête de lit. On dirait le lit d’un roi géant.
En mangeant, j’observe mon environnement, tout dans cette pièce rappelle un décor assez masculin. Deux grandes chaises hautes, affublées du même velours cramoisi flanquent une table ronde. Des photos jaunies d’une autre époque et effacées laissent entrevoir des personnages presque fantomatiques aux traits indiscernables. Une tête de biche empaillée, trophée d’une chasse lointaine me regarde d’un œil attendri. Drôle de chose à mettre dans une chambre, me dis-je. Une large fenêtre occupe la moitié du mur de la chambre, je l’ouvre et le vent s’engouffre en même temps qu’une rafale de pluie, impossible de voir quoi que ce soit, je la referme aussitôt. J’allume la lampe de ma table de nuit et éteins le plafonnier, je m’allonge dans le lit tout habillé. Il sent la poussière et l’humidité. Vais-je pouvoir dormir ? Je tends l’oreille inquiet du moindre petit bruit. Le vent et la pluie font rages. Si je me faisais tuer, personne, à part du commis de la station d’essence, ne sait où je suis. Je ne peux téléphoner, il n’a pas de réseau sur mon portable. La panique s’empare d’avantage de moi, dans quel guêpier me suis-je fourré ? Je finis par m’endormir emporté par la fatigue de la conduite, le sommeil peuplé d’ombres et de mille cauchemars.
Un bruit d’animaux se battant et un cri de quelqu’un qui se fait égorger me tire du sommeil, est-ce dans la maison ? Je ne saurais le dire, je me dresse du lit, l’oreille aux aguets, dans l’attente de voir quelqu’un forcer ma porte. Il me semble entendre des pas dans le couloir, je me lève va vers la porte et cherche de l’œil quelque chose dont je pourrais me servir pour me défendre. J’ose regarder par le trou de la serrure, rien dans le passage, que la noirceur. Je me planque le dos au mur près de la porte prêt à la rabattre au visage de l’intrus potentiel. Je retiens mon souffle, guettant les bruits de pas. Rien, que le silence, qui me renvoie ma respiration et les battements désordonnés de mon cœur .
Je me réveille avec une senteur de café qui me chatouille les narines, me lave, m’habille et ouvre toute grande la fenêtre et sonde le feuillis en bas pour voir les traces de la bataille de la nuit dernière. Tout semble en ordre et dans la lumière du matin, la chambre est grandiose avec son haut plafond, ses boiseries somptueuses, la porte sculptée dans le chêne.
Je rassemble mon bagage, dans le couloir, les trois autres portes sont toujours fermées. Je descends l’escalier et découvre une table bien mise avec des croissants chauds et la vieille avec son tablier fleuri qui m’attend avec un beau sourire.
-Bien dormi ?
Je fis signe que oui, tout en l’examinant des pieds à la tête comme pour lire dans ses pensées et deviner quelle chose de macabre elle a pu jouer, la nuit dernière. Je déjeune en silence, et je ne devinerai jamais que dans les trois chambres dorment à tout jamais trois corps momifiés. Ceux, des trois garçons de la vieille disparus il y a quelques années sans laisser de traces.
Je démarre la voiture, ouvre la radio pour tomber, ironie du sort sur la musique de "Hotel California", un frisson me parcoure le corps des pieds à la tête et je quitte ce motel sur la colline aussi vite que je peux sans jeter un regard en arrière et sans remarquer le sourire en coin de la vieille.
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Le café de la place
De ma perche au café, j’ai une vue sur toute la place et du centre nerveux du petit village s’il en fut un.
La banque et la pharmacie à ma gauche, l’église en face avec sa place qui s’anime les jours de marché ou de foires et un peu plus haut à ma droite, la Mairie.
Normalement, c’est d’un calme plat, le plus souvent le matin, je suis seul à occuper une des quelques places disponibles à l’ombre des parasols Ricard sur le bord de la rue.
Ce n’est que le vendredi matin, jour du marché que la place s’anime, dès 8 h 30. Les marchands venus de partout la région commencent à s’installer dès l’aube et pour la plupart vers 7 heures et se font un brin de causette dans l’attente des premiers clients. Ils ne tardent pas arriver d’ailleurs, qui un panier d’osier sous le bras, qui un sac en toile en bandoulière qui en a vu bien d’autre. La moyenne d’âge ici est assez élevée à ce que je constate, des papis, des mamies devenus gardiens d’enfants qu’ils semblent garder précieusement, les tirant par la main de peur de les perdre peut être, pourtant la place est si petite que c’est presqu’impossible de perdre un enfant ici. Il y aussi quelques rares jeunes mères poussant leur bébés dans des carrosses griffées pour la plupart, signe qu’elles doivent venir de quelque grandes villes pour accoucher ici près de leurs parents, ou, pour élever leurs enfants dans un cadre tranquille. D'autres sont tout simplement en vacances comme moi dans une de ces nombreuses maisons achetées par le Parisiens et qui restent inoccupées dix mois sur douze et qui font monter les prix au grand dam des gens d’ici , sauf les vendeurs, qui ainsi, ne peuvent plus rien s’acheter.
Bref, les jours de marché, c’est un peu l’agora, le lieu de rencontre de tout un chacun, on se sert la main, on se fait la bise, on se donne de grandes tapes dans le dos. Des rires fusent de partout, on prend le temps de faire un brin de causette, question d’avoir le pouls sur les dernières nouvelles de la famille d’ici, des enfants partis au loin. Il a quelque âge encore le gamin? Combien d’enfants? À trente ans me dis-je, ce ne sont plus des gamins. Mais, pour des gens de leur âge, les enfants restent des enfants et ne grandissent pas dans leurs mémoires. À part l’agriculture, de plus en plus subventionné, il ne reste plus guère d’industries dans le coin et on est de moins en moins agriculteurs, les enfants pour gagner leurs vies doivent s’éloigner, de sorte que le village est devenu une espèce de mouroir où l’on revient à la retraite vivre une solitude, meublée les jours de marché par ces rencontres et les visites de plus en plus rares des enfants partis au loin.
Mais, revenons au café de la place et de son emplacement stratégique. J’ai ma place de choix, que je réclame très tôt, les jours de marché, car j’ai de la concurrence. Ici, je peux observer à loisir tout ce qui se passe en sirotant un bon café bien tassé, que je dois m’empresser toutefois d’avaler, car vu la petitesse des tasses, ça refroidit vite . Point n’est besoin de dire que je me fais regarder par les habitués qui se demandent entre eux : Qui c’est celui-là? Comme si je n’étais pas là et à voir les haussements d’épaule, j’ai envie de leur crier ou d’écrire une pancarte avec mon nom. Quelque fois, l’un deux me reconnaissant, je ne sais comment dira, c’est le canadien là. Les habitants font le tour des marchands et les paniers se remplissent au gré des arrêts sous les encouragements des voix qui ont beaucoup de pratique : " R’gardez-moi ce beau lapin, cette belle laitue, eh ma p’tite madame, ne partez pas sans rien etc.…"’
C’est vite devenu mon sport favori de regarder vivre ainsi le village et les villages avoisinants aussi. Chaque village ayant le sien, je peux en visiter un marché presque tous les jours de la semaine.
Je recommande donc à ceux qui voyagent de prendre le temps de trouver leur Café de la place et de s’y installer à tout moment, les jours de marché de préférence, chose étrange, il y en a un du même nom ou presque dans chaque petit village. Il fait bon d’y découvrir, l’espace d’un café ou d’une bière une tranche de vie à nulle autre pareille en tout cas pour les citadins comme moi, n’ayant jamais vécu à la campagne.
L’inconnu de chez André
Accoudé au bar, un verre de vin à la main qu’il regarde sans le voir et qu’il fait tourner tout doucement il contraste nettement avec les autre clients.
Il est habillé à l’ancienne, on lui dirait sorti tout droit d’une de ces histoires ou d’un film du siècle dernier : grandes bottes de caoutchouc qui lui monte aux genoux et dans lesquelles s’enfoncent ses pantalons rapiécés aux genoux. Son veston de gros bleu est élimé aux manches, comme s’ils avaient trop longtemps frottés aux zincs des bars. Un béret, bleu aussi, tombant d’un côté de la tête le coiffe.
Il reste là immobile contemplant le vide et ignorant tout ce qui l’entoure, pourtant le bar est plein de gens qui attendent leur tour pour déjeuner au restaurant.
Son pantalon du même bleu et du même tissu que le veston, typique des vêtements de paysans de la campagne berrichonne dont une des larges poches laisse entrevoir un mouchoir qui fut rouge dans le passé.
Il continue toujours de tournoyer son verre de vin qu’il n’a toujours pas porté à ses lèvres. J’examine son visage buriné par le soleil, ridé de stries profondes allant dans toutes les directions. Froissé comme un vieux parchemin, pas une parcelle de peau n’est épargnée par les marques du temps. Ses sourcils en broussailles et tous blanchis montent haut sur son front touchant presque son béret tiré tout près, ses yeux sont d’un bleu si pur d’un ciel sans nuages. Ses mains larges et noueuses sont aussi plissées que son front, elles sont aussi épaisses et calleuses et ont du faire bien des travaux manuels tellement les doigts sont noueux.
J’essaie d’imaginer en l’observant ce dont à quoi il peut penser, à ses poules, ses chevaux, son champ à labourer ou à quelque travail inachevé. Peut être même à des anciennes amours ou à la vie tout court.
Il me semble si seul au milieu de tous ces gens et pourtant la foule du midi continue de s’affairer autour de lui et les bonjours M’sieur-dames que chacun lance en entrant le laissent totalement indifférent, muet et sans réactions aucunes. Il vit dans son monde peuplé d’imaginaire qui lui semble propre et ou les autres n’ont point de place.
D’un geste lent et calculé, comme quelqu’un qui a atteint son but, d’un trait, il vide son verre, le pose tout doucement sur le comptoir, comme pour ne pas faire de bruit ou le briser pour attirer l’attention, un peu comme s’il laissait flotter le verre quelques instants dans l'air. Il sort son mouchoir vieillot de sa poche, s’essuie les lèvres, le replace, puis tourne le talon et sans dire un mot, ni un salut, tire la porte du Café qui grince sous ses doigts et disparaît dans le silence du midi.
Le marché de Palavas-les-Flots
Le vendredi c’est jour de marché à Palavas et fidèle à mes habitudes, je pars explorer la rue de Maguelone devenue piétonnière pour la circonstance.
On y vend de tout depuis l’artisanat local aux fenêtres en PVC en passant par les incontournables marchands de fripes proposant des polards jusqu’aux sous-vêtements sexys dégriffés.
Le marché ne serait pas différents des autres marchés des petits villages de France si ce n’était « l’acceng » chantant de la Provence qu’on entend partout ici, en plus des vacanciers qui viennent dans cette station balnéaire à la recherche du soleil, de la tranquillité et du farniente typique des bords de mer.
Sur le bord du canal qui mène jusqu'à la rue Maguelone, patronne sainte de la ville, les pêcheurs rentrés tôt ce matin, offrent directement de leur barques devenues étal, tout un éventail de fruits de mer. Les noms des poissons pour la plupart me sont inconnus et ils sont si frais qu’ils gigotent encore dans leurs cageots. Une fois le choix des acheteuses fait, presque toutes de femmes, les maris restent en retrait pour quelque raison, les pêcheurs nettoient les poissons, les enroulent dans du papier journal avant de les mettre dans un sac de plastique que les ménagères engouffrent aussitôt dans leur panier en osier. Ici, tout connaisseur qui se respecte semble posséder son panier en osier. Hommes et femmes les portent en dessous de leur bras, la ganse sur une épaule, les paniers sont les plus colorés les uns des autres et des plus raffinés selon l’aisance des propriétaires.
Il faut les voir, ces paniers, des cabas comme on les appelle ici, déborder de pains, de légumes, de saucissons, de vins et toutes sortes d’autres victuailles qui vont rejoindre les poissons. Les dames sont très bien vêtues et j’imagine qu’elles sont des parisiennes ou viennent d’autres grandes villes, vu leur allure chic. Elles portent foulards noués au cou, pieds et mains bien manucurés des personnes dont les travaux manuels doivent se limiter à la cuisine et encore.
Ce qui me surprend le plus, entre autre chose, c’est l’échoppe du marchand de vin qui propose à même sa roulotte mobile ses « grands crus ». Du blanc au rosé en passant par le rouge incontournable bien sûr, tous sont offerts à la bouteille ou en contenant en plastique de quatre litres disponible sous consigne. Les habitués apportent leur propre contenant, bouteilles ou gallons qui se remplissent du précieux liquide à même le robinet du baril, pour à peine plus d’un Euro le litre quand vous avez votre contenant. Cigarette lui pendant au coin des lèvres, notre vigneron offre à tous ceux qui passent un petit verre. J’ai choisi de goûter à son marc, qui à cette heure du matin est un peu osé de ma part car il est plutôt costaud, devant mon visage grimaçant il me dit : C’est fort heing, c’est titré à 90 degrés! Ce qui m’a semblé énorme mais tout compte fait, je suis parti le pas léger continuer ma visite du marché.
Bien que la majorité des gens font leur marché à pied, d’autres y viennent en vélos décorés de jolies paniers à l’avant, à motos, même les poussettes des enfants finissent par servir de moyens de transporter les achats.
La clientèle est composée en grande partie de retraités qui semblent former une bonne partie de la population de la ville, peut être est-ce le fait que la saison avance et que les plus jeunes sont déjà retournés au boulot.
Beaucoup, sont tirés en laisse par leurs chiens de compagnie, des caniches pomponnées pour la plupart et d’autres petits chiens minuscules et laids qui se font transporter dans leur panier en dessous des bras. Ce qui me fait penser à des films de science fiction ou des mutants ont des têtes en dessous des bras ou dans la poitrine. Certains des chiens en laisses sont si petits qu’on doit à tout moment regarder ou on se met les pieds en suivant leurs laisses de peur de les écraser.
Quelques vacanciers perdus, étrangers pour la plupart comme moi, arpentent aussi le marché, je les reconnais qui par leurs langues étrangères, qui par leur air perdu et leur caméra qu’ils dirigent partout en photographiant tout ce qui bouge et non. Je pense qu’au lieu de voir ce qui se passe autour d’eux, tout leur voyage ne se fait qu’à travers les lentilles de leurs caméras.
Près du canal qui relie le lac à mer et qui traverse la ville de part et d’autres, les pêcheurs dans leurs barques réparent et nettoient leurs filets sans porter attention à l’agitation qui les entourent. Leurs épouses, pour plus d’un, font offices de vendeuses proposant les prises du jour.
Pas de presse ici, la bonhomie règne, autant clients que marchandes sont d’un naturel assez affables. On cause plus qu’on vend, pas de marchandage, le prix est le prix et personne ne semble s’en offusquer. On passe à l’autre barque tout simplement, si notre poisson ou crustacé désiré n’est pas disponible. Un petit salut et on continue comme ça jusqu’au bout du canal. Le manège peut prendre tout l’avant midi si on ne prête gare, mais ici, on a le temps, entre toute chose. Douce farniente des villes du Sud!
Quelques mamies ayant héritées des progénitures de leurs rejetons, le temps des vacances, poussent des carrosses ou pleurent des petits réveillés sans doute trop tôt pour venir au marché. On dirait un concert où les petits se répondent en chœur de carrosse en carrosse.
Même ici, les portables nous poursuivent. Je ne comprendrai jamais la propension des gens à vouloir à tout prix, faire partager leur quotidien, leurs amours compliqués, les problèmes de boulot qu’ils ont laissé derrière sans pourtant s’en évader, sans pouvoir s’en détacher, à des étrangers. Ils passent leur commandes entre deux mots et les vendeurs perplexes se demandent à qui s’adressent - t’ils d’après leur air inquisiteur, j’imagine la personne à l’autre bout du fil quand l’interlocuteur dit, deux comme ça, un comme ci et continue la conversation comme si de rien n’était…Le salaud n’est pas capable de faire l’amour dit l’une, ces enfants m’énervent dit une autre en autant de bribes de phrases captées en passant.
La rue, encore moins un marché, me dis-je ne devrait pas servir de lieu de conversations intimes et en plus qui veut partager de force les discussions de tout un chacun? M'enfin, c’est le temps dans lequel nous vivons.
Et tout comme son début le matin, sans fanfares ni trompettes, le marché ferme, tout un chacun commence à ramasser son étal au grand dam des retardataires qui continuent de faire leur course malgré tout, arrachant presque des mains des marchands les légumes qu’ils s’apprêtent à ranger. Voyage oblige d’un côté, car il y a un autre marché ailleurs demain, de l’autre, la ville est stricte, le marché ferme à quatorze heures. Les débardeurs sont déjà en attente sur le coin de la rue et les petites moto-aspirateurs sont déjà à l’œuvre se faufilant à travers la foule.
En une demi-heure après la fermeture, on ne pourrait pas dire qu’il y a eu un marché, tout est propre et en ordre et le trafic a vite repris ses droits jusqu'à vendredi prochain.
Copyright © Gabriel H. Osson, Tous droits réservés
L’accident (février 2016)
Il y a de ces rencontres fortuites qui, comme des collisions d’étoiles changent le cours des choses et modifient la vie des êtres.
Lorsqu’il arrive au magasin Carrefour, dans un petit village du Cher où il passait ses vacances, pour faire ses emplettes en ce matin d’automne. Gérard ne pouvait s’imaginer que cet arrêt allait bousculer sa vie.
Gérard passe souvent sa vie à se questionner sur les évènements du quotidien et à se demander si les choses qui nous arrivent relèvent du déterminisme ou du libre arbitre. Il allait être confronté dans ses valeurs et ses fondements.
Poussant son charriot devant lui, nonchalamment, il attrape en passant les articles de sa liste mentale, ajoutant en vol quelques autres frivolités au gré de son impulsion.
Martine de son côté, fait ses emplettes journalières dans cette grande surface, sans vie et sans intérêts, sinon qu’elle ne soit pas très loin de chez elle et ne l’éloigne pas trop de son parcours. Familière des lieux, elle passe automate, d’une allée à l’autre, sachant à peu de choses près l’emplacement de chaque article convoité, se contentant de jeter un coup d’œil distrait sur sa liste inscrite dans son téléphone intelligent.
Perdus dans ses pensées, elle contourne une allée et entra en collision avec un autre charriot poussé en sens inverse par un homme élégant , inconnu d’elle et comme sorti d’un autre monde.
L’espace d’un instant, le temps se fige et tout se déroule au ralenti, ni l’un ni l’autre ne prononce un seul mot. D’un côté, Martine subjuguée par la beauté et l’élégance de cet inconnu et Gérard qui ne comprend pas pourquoi cette femme ne regarde pas où elle va en espérant qu’elle ne conduise pas de la même façon sur la route.
Est-il gai, pensa t’elle, si bien vêtu, dans un tel endroit? À cette heure du jour en plus?
Sans comprendre ce qui lui arrive, elle sent son cœur débattre dans sa poitrine, le sang lui monter à la tête et des titillements dans son bas ventre, prise d’une émotion soudaine. La tête légère, les jambes flageolantes, elle essaie tant bien que mal à se donner une contenance. Elle se ressaisit, sortant de sa torpeur, et dans cette éternité de quelques secondes, essaie de balbutier quelques mots d’excuses, mais aucun son ne sort de sa gorge ni de sa bouche grande ouverte.
Qu’est-ce qui m’arrive pensa t’elle?
Gérard est le premier à parler et à réagir poliment, plutôt que de se fâcher.
Je m’excuse, dit-il même s’il n’est pas en faute. Non, dit Martine, c’est plutôt moi. Mille excuses, je ne vous ai pas vu arriver. C’est très rare pour moi de rencontrer quelqu’un à cette heure, réplique Martine, je suis vraiment navrée.
Gérard ne comprend pas non plus ce qui lui arrive. Un courant chaud lui traverse soudain l’échine. Cette dame qui le regarde avec une telle insistance le décontenance.
_ Que me veut-elle au juste et pourquoi me regarde t’elle ainsi?
Je suis Gérard dit-il, je suis en vacances dans le coin pour quelques jours.
Je suis Martine dit-elle. Pour m’excuser, puis-je vous inviter à prendre un café pour me faire pardonner de ma bouderie?
Les mots sont sortis de sa bouche sans qu’elle eu le temps de réfléchir, sans s’en rendre compte. Elle d’un abord si timide et qui s’adresse rarement à des étrangers, voilà qu’elle vient d’inviter un inconnu à prendre un café.
-Avec plaisir dit Gérard, je n’ai pas encore terminé. Je vous rejoins à la sortie et vous m’indiquerez le café.
- Nous n’allons pas très loin, dit Martine. Juste quelques pas sur la place de l’église, à droite en sortant.
- D’accord dit Gérard tout en contournant le panier de Martine pour continuer ses courses.
Elle se retourne juste à temps pour voir la silhouette de Gérard disparaitre de sa vue.
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La traversée
Le bateau quitte finalement le quai en direction du large. Je reste là à la poup , les yeux rivés sur le quai de Jérémie qui s’amenuise jusqu’à ne devenir que quelques lumières blafardes au loin, puis un point qui disparait dans la nuit. La peur, l’émotion et le tangage du bateau ne tardent pas à avoir raison de mon estomac et ainsi débute une vague successive de vomissements qui va durer tout le long du voyage.
Sous les recommandations de ma mère, le Capitaine m’a trouvé un petit coin près de la cabine de pilotage et dès que nous fûmes en mer, je me suis approché de la porte pour lui demander de m’expliquer un peu notre position et vers quelle destination on se dirigeait. Il pointa une carte derrière lui et me montra le tracé du doigt jusqu’à Port-au-Prince, cela me semblait loin. « Si tout va bien, si die vle », nous arriverons demain matin, me dit-il. Les noms des villes n’étaient à mes yeux qu’un fouillis de petits points, ne sachant pas lire, je ne pouvais déchiffrer les noms, il me les énuméra ainsi, « Tu vois on va suivre la côte de près, croisant, Gomier et Roseau, puis on va contourner la petite ile que tu vois là, la grande Cayemite et filer vers le large. Je me suis mis à suivre la côte du bout des doigts jusqu'à l’endroit indiqué pour notre arrivée. « Tu ne sais pas lire, me dit-il l’air songeur? ». Je lui fis non de la tête et il m’expliqua la route citant les noms des villes, dont nous verrons quelques lueurs dans la nuit, en m’indiquant que nous resterons au large et ne passerons pas très près de la côte. Elles avaient des noms assez curieux dans ma tête : Petit-trou-de-Nippes, Grande rivière, Petite Rivière, Miragoâne, Léogâne pour ne nommer que quelques-unes. Je me promets à moi-même qu’un jour, je saurai lire les cartes moi aussi. Le bateau va mettre le cap en direction de l’ile de la Gonâve, m’expliqua-t-il en contournant l’ile de la grande Cayemite et passera dans le canal de la Gonâve ou canal du Sud, pour se diriger au petit matin dans la baie de Port-au-Prince. Je trouve tout cela tellement fascinant, que je serais devenu un marin sur le champ s’il me le demandait. Je lui pose des questions sur son métier et comment il est devenu Capitaine.
Après vingt-cinq ans de maraudage à travers le monde, comme matelot tout d’abord et d’apprentissage divers, il a fait tous les métiers dans un bateau, de la coque au mat, de la poupe à la proue, et de la soute au pont. Il est revenu au pays avec ce vieux rafiot acheté à Miami, économisant chaque sou qu’il gagnait. Il l’a rafistolé et s’est converti dans la marine marchande après mille péripéties pour obtenir un permis d’exercer. Pour ce faire, il a dû graisser une partie de l’administration locale dit-il, tout en continuant de guider le navire vers un point que je ne pouvais voir dans le noir, et qu’il continuait de payer encore aujourd’hui des faveurs diverses du point de départ au point d’arrivée.
Pour arriver à rentabiliser ses voyages, il remplissait le bateau à ras bord et bien au-delà des limites permises par les lois internationales. La marchandise déborde des cales et les passagers doivent trouver des trous au milieu du cargo, quand ce n’est pas directement au-dessus des sacs, pour se coucher pour la nuit. Il m’annonce au grand dam de mon estomac, déjà fragile, que la mer sera houleuse pendant la nuit jusque vers le milieu de l’ile de la Gonâve où nous serons protégés des vents contraires pendant quelques heures.
Je regagne mon coin assigné accoté contre mon baluchon qui contient toutes mes possessions.
Ma mère avait sorti sa plus belle nappe à carreaux bleu et blanc, dans laquelle elle a entassé quelques maigres affaires. Je n’ai pas beaucoup de vêtements et ceux que je possède ont vu de meilleurs jours depuis longtemps. Ce sont des vieux « pèpès » que ma mère avait achetés au marché aux vêtements usagés en provenance de l’étranger et qui s’étaient usés d’avantage au travail de la forge. Elle les a lavés, bien repassés, pliés et les a mises dans mon baluchon. Elle a mis par-dessus les Komparets, sorte de gâteau compact à la mélasse, que je dois remettre à ma tante et à la dame qui doit me recevoir chez elle. Elle a inséré aussi une lettre à remettre à cette dame. Lettre qu’elle avait dictée au professeur de l’école primaire, qui fait office de scribe pour tous les gens du quartier pour quelques sous. Elle n’a plus écrite depuis qu’elle a quitté l’école primaire, ça la gênait d’écrire la lettre et de faire des fautes. Les gens ne sont jamais surs de ce que le scribe écrit, mais tous lui font confiance, au fond, ils n’ont guère le choix. C’est lui aussi qui lit les lettres reçues de l’étranger et que les parents gardent jalousement, malgré le jaunissement des enveloppes qui se ressoudent à cause de l’humidité.
Le contact du baluchon me réconforte, il sent l’odeur de ma mère et de la maison qui me manquent déjà.
Avec le roulis du bateau, bercé par le ronronnement et la vibration du moteur, je m’endors au milieu des sacs et des autres passagers tout près qui occupent chaque centimètre carré disponible. La proximité des corps m’apporte une certaine chaleur et un certain réconfort aidant ainsi à contrer le froid relatif de la nuit sur la mer.
Je ne peux dire combien de temps je suis resté ainsi jusqu’à ce que le tangage insistant du bateau et des chants venant de l’arrière me tirent de mon sommeil. Des bribes me parviennent dans le vacarme des moteurs et le bruit du vent : « Mèt Agwe sou lan-mè, Èzili malad o, gade nap chante ». ( Maitre Agwe sur la mer, Erzulie est malade, écoute notre chant). Je connais la chanson pour l’avoir déjà entendu. Prenant mon courage à deux mains et malgré mes entrailles qui voulaient remonter, la curiosité l’emportant, je me dirige vers l’origine de la chanson. La mer est de plus en plus mouvementée et le bateau secoué de toute part, les femmes prient, chapelet en mains, d’autres reprennent la chanson d’Agwe, leurs voix empreintes de peur. Le Capitaine est debout à l’arrière, un foulard rouge autour du cou, une machette à la ceinture, la casquette retournée vers l’arrière. Il a une bouteille à la main et sur une nappe à même le pont du navire, une table bien garnie de victuailles. Bien que j’aie l’estomac dans les talons, j’ai faim tout à coup. Le Capitaine aidé d’un matelot, nourrit la mer en disant des incantations incompréhensibles, je m’approchais de plus près, et je l’entends dire : « Mèt Agwe, Dyie lan-mè, Dyie ki fò, nou se pitit ou papa, fò ou ban pasaj, fò ou ban la pè »[1]. Il verse une rasade de la bouteille dans la mer et en boit une gorgée. Cela n’a aucune influence sur la mer, qui reste toute aussi agitée, sourde à ses supplications. D’autres nourritures sont jetées par-dessus bord, d’autres rasades, rien n’y fit pour calmer la furie des eaux. Mais là, n’était pas le but, ai-je appris par la suite du Capitaine, ce sont des offrandes à Agwe, pour le remercier de sa compagnie et lui demander d’intercéder auprès de ses maitresses, le vent, la mer et de nous assurer un bon passage et de protéger son bateau.
Je retourne dans mon coin, non sans avoir vomi toute la bile qui me restait dans le corps, la gorge râpe et la bouche pâteuse, j’ai soif et je n’ai rien à boire. Je finis par m’endormir de nouveau au milieu d’un concert de ronflements.
La mer a fini par se calmer, comme avait dit le Capitaine, et le restant de la nuit fut peuplé de rêves les plus bizarres, de gros monstres marins viennent avaler le bateau, je sens leur souffle chaud, j’entends des chants venus de la mer, doux comme des berceuses. Ce ne sont que les bruits du réveil sur le pont qui me tirent de mon sommeil et j’ai pu ainsi assister à notre arrivée au petit matin au quai de cabotage, pas loin du quai de charbon.
La Capitale me semble immense et grossit au fur et à mesure que l’on approche de la terre. Vu de loin, on dirait un fer à cheval dont les maisons sont disposées sur son pourtour et il y en a partout, pas mal plus, en tout cas que dans ma ville.
En un temps record, le bateau a vomi sur le quai tous ses passagers. J’ai tout mon temps pour observer le déchargement des passagers et de la marchandise. Le Capitaine m’a autorisé à demeurer sur le toit du bateau jusqu'à ce qu’on vienne me chercher. Le soleil est déjà haut dans le ciel si tôt le matin et il commence déjà à faire très chaud quand je suis descendu de mon perchoir pour me rendre à l’arrière du bateau où on a tendu une toile pour se protéger du soleil. Il ne reste presque plus rien dans la cale et les matelots sont en train de nettoyer le pont, puisant de l’eau de mer et essuyant avec un grand balai, effaçant les traces de vomissures et même d’excréments en attendant les prochains voyageurs pour le chemin en sens inverse qui se fera à la fin de la journée, juste avant la tombée de la nuit pour une autre traversée.
Ainsi débute mon entrée dans la capitale.
[1] Maitre Agwe, Dieu de la mer, Dieu très fort, nous sommes tes enfants, accorde-nous le passage, accorde-nous la paix.
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Le Motel sur la colline
La pluie tombait drue presque à la verticale, impossible de voir le chemin dans cette nuit poisseuse. Les essuie-glaces peinaient pour chasser l’eau, même à vitesse maximale, ils ne parvenaient qu’avec difficultés à me laisser un petit bout de pare-brise propre pour voir le chemin.
Cela faisait cinq heures que j’avais quitté la ville et que je roulais sur l’autoroute. Comme en être super prévoyant, je n’avais pas pris soin de réserver un endroit pour passer la nuit, je suis un homme après tout, je me trouverai bien une place quelque part, au pire, je dormirai dans la voiture. Mais, voilà, je n’avais pas prévu cette flotte, ni que le trajet serait aussi long. Je suis attendu le lendemain, je commence un nouveau boulot dans une petite ville de campagne et la logeuse où j’ai loué une chambre sait que je vais arriver tard et elle a prévue me laisser une clé sous le paillasson.
- Ne faites surtout pas trop de bruit en entrant, m’a-t-elle dite au téléphone, j’ai le sommeil léger et je grogne quand je n’ai pas mes dix heures de sommeil. Voilà qui commence bien me dis-je.
Je suis sorti de l’autoroute comme la nuit tombait et à tout hasard, me suis mis en quête d’un endroit pour passer la nuit. La station d’essence où j'atteris ne payait pas de mine, faiblement éclairée, je me demandais s’il y avait quelqu’un. Je m’y suis tout de même arrêté pour me renseigner. Je franchis la porte en faisant tinter une cloche qui me semble résonner assez fort pour avertir tout le voisinage.
-Ce sera quoi? Me lance une voix, assise dans un vieux fauteuil défoncé et provenant d’une casquette à l’effigie d’une grande marque d’huile à moteur et portée à l’envers, sans détourner les yeux d’un aussi vieux poste de télé en noir et blanc diffusant je ne sais quelle émission si importante que mon interlocuteur ne daigne même pas se retourner.
-Je cherche un endroit pour passer la nuit, dis-je, y a-t-il quelque chose dans le coin ?
-ici non, répond la voix, il y a un gîte à quelques kilomètres d’ici, peut être que la vieille est là.
-Pouvez-vous m’indiquer le chemin et me dire s’il y a un téléphone où je peux la rejoindre ?
-Elle n’a pas de téléphone répondit la casquette en se levant de peine et de misère, l’œil toujours rivé sur le poste. Il s’est déplié présentant un corps décharné de près de six pieds, pris dans une salopette, trop grand pour lui, ayant vu des meilleurs jours.
-Vous êtes pas d’ici, vous ? Me lance-t-il l’air inquisiteur et inquiet de voir un étranger surgir dans le soir comme ça.
-Cela voit tant que ça, lui dis-je ?
Il sort une carte sans répondre et m’indique le chemin à suivre, une route en terre qui risque d’être détrempée et glissante avec la pluie qui nous tombe dessus.
-Vous voulez pas m’acheter Kok chose, tant qu’a y être, ce sera pour le service. Je regarde autour, tout à l’air crasseux et sale et la marchandise ne semble pas avoir été renouvelée depuis des lunes. Je prends un paquet de biscuits au hasard et lui règle montant. Je ressors affronter la pluie qui m’attend de plus belle. Il m’avait dit qu’il ne fallait pas plus de dix minutes pour m’y rendre, cela fait déjà vingt que je suis sur cette route défoncée et cahoteuse qui à chaque instant risque de m’envoyer dans le décor. Je suis peut être perdu, mais faire demi-tour ne me dit rien qui vaille, je n’ai pas d’adresse, sauf une description de la maison. Tu vas le voir de la route a-t-il dit, c’est d’ailleurs la seule maison à la ronde. Comme de fait, entre deux coups d’essuie-glaces, je vois finalement une lueur en haut d’une côte sur ma gauche, je ralentis pour ne pas rater l’entrée et m’enfonce dans une allée de chênes menant jusqu’à la maison. La nuit est tellement dense et la pluie rend la visibilité presque nulle. Une lumière s’allume dans une petite maison, je m’y arrête et avant que j’aie le temps de cogner, la porte s’ouvre devant une vielle dame aux cheveux remontés dans un chignon, l’air maussade.
-Vous n’allez pas rester planter là comme ça mon garçon, je vais attraper mon coup de mort !
J’entre et lui dit ce que je cherche, elle me demande ce que je fais sur la route par un temps pareil et elle dit, entre les dents, que les jeunes d’aujourd’hui n’ont plus de cerveau, quelle idée stupide ? Continue t’elle de marmonner pour elle-même.
Le décor est un peu spartiate, une table et deux chaises trônent dans la cuisine. Une chaise berçante et un sofa dans ce qui semble être le salon, l’ensemble n’a guère rien de rassurant et je frissonne me demandant où suis-je tombé. Enfin dit-elle, la maison est vide, il ne vient presque plus personne, mon fils loge là-haut, il est absent et Dieu sait où, il est allé se fourrer par un temps pareil. Elle me tend une clé, la plus grosse que je n’ai jamais vu et m’explique qu’elle ouvre la porte d’entrée, de ne pas oublier de refermer comme il faut derrière moi. Elle ne viendra pas me conduire là haut par un temps pareil et de faire attention à ne pas glisser en montant.
Je règle la chambre et sors de nouveau sous la pluie qui a diminué un peu d’intensité. Il faut une minute ou deux pour que mes yeux se fassent à l’obscurité, je prends mon sac dans la voiture et sans bravoure entreprend la montée, le coeur battant la chamade. La nuit m’enveloppe et le froid me pénètre jusqu’aux os, je serre les dents pour ne pas qu’ils claquent. Je guette les bruits aux alentours et j’arrive presqu’en sueurs à parcourir les cents pas qui me mènent à une lourde porte de chêne que je peine à ouvrir tellement mes mains tremblent. J’ai l’impression d’être épié et ne vois personne. Je frisonne et j’ai les trippes noués par la peur, je n’ose même pas me retourner pour regarder en arrière. Je cherche le commutateur à tâtons et une lumière blafarde éclaire enfin pauvrement le rez-de chaussée d’un vieux manoir qui a du voir un faste dans le passé. Je ferme la porte à clé derrière moi et reste le dos accolé à la porte écoutant les bruits du lieu, les pieds dans une mare d’eau créée par mes souliers dégoulinants et mes vêtements mouillés.
Je suis dans un grand vestibule. Au plancher, un large carrelage en grès vétuste, usé par le passage du temps. À gauche, une table ronde en bois d’acajou et quatre chaises, un buffet sur lequel trône un tas d’objets hétéroclite, forme la salle à dîner, au fond en enfilade, la cuisine. À ma droite, le salon, canapé, sofa, table basse de faction assez riche, mais défraîchi. Une horloge Grand-père dans le coin droit tic-tac encore et n’est pas à l’heure. Je regarde ma montre vingt et une heure, je n’ai rien mangé depuis longtemps et me rend compte de ma faim soudainement. Je doute fort qu’il y a quelque chose à manger dans cette maison.
De lourdes tentures de velours, dont je ne saurais dire la couleur, masquent les fenêtres donnant encore un aspect plus lugubre à ce lieu. Tout au fond à droite, un escalier de pierre mène à l’étage et aux chambres. Bien que je sois plus calme, j’ai l’impression que je vais voir apparaître à tout moment en haut des marches, Norman Bates comme dans Psycho.
Prenant mon courage à deux mains, je gravis les marches jusqu’aux chambres qui sont toutes fermées sauf une qui m’est destinée, comme si j’étais attendu. Je trouve la chose "spooky" et je chasse l’idée de mon esprit. Je dépose ma valise, change mes vêtements mouillés et je me mets en frais d’explorer les lieux, les autres chambres sont bel et bien verrouillées, étrange tout de même, me dis-je. Je descends à la cuisine et trouve quelques victuailles dans le frigo, encore, comme si on attendait quelqu’un. Je prends quelques raisins, un morceau de fromage que j’emporte dans ma chambre que je ferme à double tour. Le lit est en bois massif, de format très grand, il me semble énorme. Accroché au plafond depuis un dais sculpté, un grand rideau de velours rouge foncé fait office de ciel de lit et vient s’accrocher de chaque côté de la tête de lit. On dirait le lit d’un roi géant.
En mangeant, j’observe mon environnement, tout dans cette pièce rappelle un décor assez masculin. Deux grandes chaises hautes, affublées du même velours cramoisi flanquent une table ronde. Des photos jaunies d’une autre époque et effacées laissent entrevoir des personnages presque fantomatiques aux traits indiscernables. Une tête de biche empaillée, trophée d’une chasse lointaine me regarde d’un œil attendri. Drôle de chose à mettre dans une chambre, me dis-je. Une large fenêtre occupe la moitié du mur de la chambre, je l’ouvre et le vent s’engouffre en même temps qu’une rafale de pluie, impossible de voir quoi que ce soit, je la referme aussitôt. J’allume la lampe de ma table de nuit et éteins le plafonnier, je m’allonge dans le lit tout habillé. Il sent la poussière et l’humidité. Vais-je pouvoir dormir ? Je tends l’oreille inquiet du moindre petit bruit. Le vent et la pluie font rages. Si je me faisais tuer, personne, à part du commis de la station d’essence, ne sait où je suis. Je ne peux téléphoner, il n’a pas de réseau sur mon portable. La panique s’empare d’avantage de moi, dans quel guêpier me suis-je fourré ? Je finis par m’endormir emporté par la fatigue de la conduite, le sommeil peuplé d’ombres et de mille cauchemars.
Un bruit d’animaux se battant et un cri de quelqu’un qui se fait égorger me tire du sommeil, est-ce dans la maison ? Je ne saurais le dire, je me dresse du lit, l’oreille aux aguets, dans l’attente de voir quelqu’un forcer ma porte. Il me semble entendre des pas dans le couloir, je me lève va vers la porte et cherche de l’œil quelque chose dont je pourrais me servir pour me défendre. J’ose regarder par le trou de la serrure, rien dans le passage, que la noirceur. Je me planque le dos au mur près de la porte prêt à la rabattre au visage de l’intrus potentiel. Je retiens mon souffle, guettant les bruits de pas. Rien, que le silence, qui me renvoie ma respiration et les battements désordonnés de mon cœur .
Je me réveille avec une senteur de café qui me chatouille les narines, me lave, m’habille et ouvre toute grande la fenêtre et sonde le feuillis en bas pour voir les traces de la bataille de la nuit dernière. Tout semble en ordre et dans la lumière du matin, la chambre est grandiose avec son haut plafond, ses boiseries somptueuses, la porte sculptée dans le chêne.
Je rassemble mon bagage, dans le couloir, les trois autres portes sont toujours fermées. Je descends l’escalier et découvre une table bien mise avec des croissants chauds et la vieille avec son tablier fleuri qui m’attend avec un beau sourire.
-Bien dormi ?
Je fis signe que oui, tout en l’examinant des pieds à la tête comme pour lire dans ses pensées et deviner quelle chose de macabre elle a pu jouer, la nuit dernière. Je déjeune en silence, et je ne devinerai jamais que dans les trois chambres dorment à tout jamais trois corps momifiés. Ceux, des trois garçons de la vieille disparus il y a quelques années sans laisser de traces.
Je démarre la voiture, ouvre la radio pour tomber, ironie du sort sur la musique de "Hotel California", un frisson me parcoure le corps des pieds à la tête et je quitte ce motel sur la colline aussi vite que je peux sans jeter un regard en arrière et sans remarquer le sourire en coin de la vieille.
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Le café de la place
De ma perche au café, j’ai une vue sur toute la place et du centre nerveux du petit village s’il en fut un.
La banque et la pharmacie à ma gauche, l’église en face avec sa place qui s’anime les jours de marché ou de foires et un peu plus haut à ma droite, la Mairie.
Normalement, c’est d’un calme plat, le plus souvent le matin, je suis seul à occuper une des quelques places disponibles à l’ombre des parasols Ricard sur le bord de la rue.
Ce n’est que le vendredi matin, jour du marché que la place s’anime, dès 8 h 30. Les marchands venus de partout la région commencent à s’installer dès l’aube et pour la plupart vers 7 heures et se font un brin de causette dans l’attente des premiers clients. Ils ne tardent pas arriver d’ailleurs, qui un panier d’osier sous le bras, qui un sac en toile en bandoulière qui en a vu bien d’autre. La moyenne d’âge ici est assez élevée à ce que je constate, des papis, des mamies devenus gardiens d’enfants qu’ils semblent garder précieusement, les tirant par la main de peur de les perdre peut être, pourtant la place est si petite que c’est presqu’impossible de perdre un enfant ici. Il y aussi quelques rares jeunes mères poussant leur bébés dans des carrosses griffées pour la plupart, signe qu’elles doivent venir de quelque grandes villes pour accoucher ici près de leurs parents, ou, pour élever leurs enfants dans un cadre tranquille. D'autres sont tout simplement en vacances comme moi dans une de ces nombreuses maisons achetées par le Parisiens et qui restent inoccupées dix mois sur douze et qui font monter les prix au grand dam des gens d’ici , sauf les vendeurs, qui ainsi, ne peuvent plus rien s’acheter.
Bref, les jours de marché, c’est un peu l’agora, le lieu de rencontre de tout un chacun, on se sert la main, on se fait la bise, on se donne de grandes tapes dans le dos. Des rires fusent de partout, on prend le temps de faire un brin de causette, question d’avoir le pouls sur les dernières nouvelles de la famille d’ici, des enfants partis au loin. Il a quelque âge encore le gamin? Combien d’enfants? À trente ans me dis-je, ce ne sont plus des gamins. Mais, pour des gens de leur âge, les enfants restent des enfants et ne grandissent pas dans leurs mémoires. À part l’agriculture, de plus en plus subventionné, il ne reste plus guère d’industries dans le coin et on est de moins en moins agriculteurs, les enfants pour gagner leurs vies doivent s’éloigner, de sorte que le village est devenu une espèce de mouroir où l’on revient à la retraite vivre une solitude, meublée les jours de marché par ces rencontres et les visites de plus en plus rares des enfants partis au loin.
Mais, revenons au café de la place et de son emplacement stratégique. J’ai ma place de choix, que je réclame très tôt, les jours de marché, car j’ai de la concurrence. Ici, je peux observer à loisir tout ce qui se passe en sirotant un bon café bien tassé, que je dois m’empresser toutefois d’avaler, car vu la petitesse des tasses, ça refroidit vite . Point n’est besoin de dire que je me fais regarder par les habitués qui se demandent entre eux : Qui c’est celui-là? Comme si je n’étais pas là et à voir les haussements d’épaule, j’ai envie de leur crier ou d’écrire une pancarte avec mon nom. Quelque fois, l’un deux me reconnaissant, je ne sais comment dira, c’est le canadien là. Les habitants font le tour des marchands et les paniers se remplissent au gré des arrêts sous les encouragements des voix qui ont beaucoup de pratique : " R’gardez-moi ce beau lapin, cette belle laitue, eh ma p’tite madame, ne partez pas sans rien etc.…"’
C’est vite devenu mon sport favori de regarder vivre ainsi le village et les villages avoisinants aussi. Chaque village ayant le sien, je peux en visiter un marché presque tous les jours de la semaine.
Je recommande donc à ceux qui voyagent de prendre le temps de trouver leur Café de la place et de s’y installer à tout moment, les jours de marché de préférence, chose étrange, il y en a un du même nom ou presque dans chaque petit village. Il fait bon d’y découvrir, l’espace d’un café ou d’une bière une tranche de vie à nulle autre pareille en tout cas pour les citadins comme moi, n’ayant jamais vécu à la campagne.
L’inconnu de chez André
Accoudé au bar, un verre de vin à la main qu’il regarde sans le voir et qu’il fait tourner tout doucement il contraste nettement avec les autre clients.
Il est habillé à l’ancienne, on lui dirait sorti tout droit d’une de ces histoires ou d’un film du siècle dernier : grandes bottes de caoutchouc qui lui monte aux genoux et dans lesquelles s’enfoncent ses pantalons rapiécés aux genoux. Son veston de gros bleu est élimé aux manches, comme s’ils avaient trop longtemps frottés aux zincs des bars. Un béret, bleu aussi, tombant d’un côté de la tête le coiffe.
Il reste là immobile contemplant le vide et ignorant tout ce qui l’entoure, pourtant le bar est plein de gens qui attendent leur tour pour déjeuner au restaurant.
Son pantalon du même bleu et du même tissu que le veston, typique des vêtements de paysans de la campagne berrichonne dont une des larges poches laisse entrevoir un mouchoir qui fut rouge dans le passé.
Il continue toujours de tournoyer son verre de vin qu’il n’a toujours pas porté à ses lèvres. J’examine son visage buriné par le soleil, ridé de stries profondes allant dans toutes les directions. Froissé comme un vieux parchemin, pas une parcelle de peau n’est épargnée par les marques du temps. Ses sourcils en broussailles et tous blanchis montent haut sur son front touchant presque son béret tiré tout près, ses yeux sont d’un bleu si pur d’un ciel sans nuages. Ses mains larges et noueuses sont aussi plissées que son front, elles sont aussi épaisses et calleuses et ont du faire bien des travaux manuels tellement les doigts sont noueux.
J’essaie d’imaginer en l’observant ce dont à quoi il peut penser, à ses poules, ses chevaux, son champ à labourer ou à quelque travail inachevé. Peut être même à des anciennes amours ou à la vie tout court.
Il me semble si seul au milieu de tous ces gens et pourtant la foule du midi continue de s’affairer autour de lui et les bonjours M’sieur-dames que chacun lance en entrant le laissent totalement indifférent, muet et sans réactions aucunes. Il vit dans son monde peuplé d’imaginaire qui lui semble propre et ou les autres n’ont point de place.
D’un geste lent et calculé, comme quelqu’un qui a atteint son but, d’un trait, il vide son verre, le pose tout doucement sur le comptoir, comme pour ne pas faire de bruit ou le briser pour attirer l’attention, un peu comme s’il laissait flotter le verre quelques instants dans l'air. Il sort son mouchoir vieillot de sa poche, s’essuie les lèvres, le replace, puis tourne le talon et sans dire un mot, ni un salut, tire la porte du Café qui grince sous ses doigts et disparaît dans le silence du midi.
Le marché de Palavas-les-Flots
Le vendredi c’est jour de marché à Palavas et fidèle à mes habitudes, je pars explorer la rue de Maguelone devenue piétonnière pour la circonstance.
On y vend de tout depuis l’artisanat local aux fenêtres en PVC en passant par les incontournables marchands de fripes proposant des polards jusqu’aux sous-vêtements sexys dégriffés.
Le marché ne serait pas différents des autres marchés des petits villages de France si ce n’était « l’acceng » chantant de la Provence qu’on entend partout ici, en plus des vacanciers qui viennent dans cette station balnéaire à la recherche du soleil, de la tranquillité et du farniente typique des bords de mer.
Sur le bord du canal qui mène jusqu'à la rue Maguelone, patronne sainte de la ville, les pêcheurs rentrés tôt ce matin, offrent directement de leur barques devenues étal, tout un éventail de fruits de mer. Les noms des poissons pour la plupart me sont inconnus et ils sont si frais qu’ils gigotent encore dans leurs cageots. Une fois le choix des acheteuses fait, presque toutes de femmes, les maris restent en retrait pour quelque raison, les pêcheurs nettoient les poissons, les enroulent dans du papier journal avant de les mettre dans un sac de plastique que les ménagères engouffrent aussitôt dans leur panier en osier. Ici, tout connaisseur qui se respecte semble posséder son panier en osier. Hommes et femmes les portent en dessous de leur bras, la ganse sur une épaule, les paniers sont les plus colorés les uns des autres et des plus raffinés selon l’aisance des propriétaires.
Il faut les voir, ces paniers, des cabas comme on les appelle ici, déborder de pains, de légumes, de saucissons, de vins et toutes sortes d’autres victuailles qui vont rejoindre les poissons. Les dames sont très bien vêtues et j’imagine qu’elles sont des parisiennes ou viennent d’autres grandes villes, vu leur allure chic. Elles portent foulards noués au cou, pieds et mains bien manucurés des personnes dont les travaux manuels doivent se limiter à la cuisine et encore.
Ce qui me surprend le plus, entre autre chose, c’est l’échoppe du marchand de vin qui propose à même sa roulotte mobile ses « grands crus ». Du blanc au rosé en passant par le rouge incontournable bien sûr, tous sont offerts à la bouteille ou en contenant en plastique de quatre litres disponible sous consigne. Les habitués apportent leur propre contenant, bouteilles ou gallons qui se remplissent du précieux liquide à même le robinet du baril, pour à peine plus d’un Euro le litre quand vous avez votre contenant. Cigarette lui pendant au coin des lèvres, notre vigneron offre à tous ceux qui passent un petit verre. J’ai choisi de goûter à son marc, qui à cette heure du matin est un peu osé de ma part car il est plutôt costaud, devant mon visage grimaçant il me dit : C’est fort heing, c’est titré à 90 degrés! Ce qui m’a semblé énorme mais tout compte fait, je suis parti le pas léger continuer ma visite du marché.
Bien que la majorité des gens font leur marché à pied, d’autres y viennent en vélos décorés de jolies paniers à l’avant, à motos, même les poussettes des enfants finissent par servir de moyens de transporter les achats.
La clientèle est composée en grande partie de retraités qui semblent former une bonne partie de la population de la ville, peut être est-ce le fait que la saison avance et que les plus jeunes sont déjà retournés au boulot.
Beaucoup, sont tirés en laisse par leurs chiens de compagnie, des caniches pomponnées pour la plupart et d’autres petits chiens minuscules et laids qui se font transporter dans leur panier en dessous des bras. Ce qui me fait penser à des films de science fiction ou des mutants ont des têtes en dessous des bras ou dans la poitrine. Certains des chiens en laisses sont si petits qu’on doit à tout moment regarder ou on se met les pieds en suivant leurs laisses de peur de les écraser.
Quelques vacanciers perdus, étrangers pour la plupart comme moi, arpentent aussi le marché, je les reconnais qui par leurs langues étrangères, qui par leur air perdu et leur caméra qu’ils dirigent partout en photographiant tout ce qui bouge et non. Je pense qu’au lieu de voir ce qui se passe autour d’eux, tout leur voyage ne se fait qu’à travers les lentilles de leurs caméras.
Près du canal qui relie le lac à mer et qui traverse la ville de part et d’autres, les pêcheurs dans leurs barques réparent et nettoient leurs filets sans porter attention à l’agitation qui les entourent. Leurs épouses, pour plus d’un, font offices de vendeuses proposant les prises du jour.
Pas de presse ici, la bonhomie règne, autant clients que marchandes sont d’un naturel assez affables. On cause plus qu’on vend, pas de marchandage, le prix est le prix et personne ne semble s’en offusquer. On passe à l’autre barque tout simplement, si notre poisson ou crustacé désiré n’est pas disponible. Un petit salut et on continue comme ça jusqu’au bout du canal. Le manège peut prendre tout l’avant midi si on ne prête gare, mais ici, on a le temps, entre toute chose. Douce farniente des villes du Sud!
Quelques mamies ayant héritées des progénitures de leurs rejetons, le temps des vacances, poussent des carrosses ou pleurent des petits réveillés sans doute trop tôt pour venir au marché. On dirait un concert où les petits se répondent en chœur de carrosse en carrosse.
Même ici, les portables nous poursuivent. Je ne comprendrai jamais la propension des gens à vouloir à tout prix, faire partager leur quotidien, leurs amours compliqués, les problèmes de boulot qu’ils ont laissé derrière sans pourtant s’en évader, sans pouvoir s’en détacher, à des étrangers. Ils passent leur commandes entre deux mots et les vendeurs perplexes se demandent à qui s’adressent - t’ils d’après leur air inquisiteur, j’imagine la personne à l’autre bout du fil quand l’interlocuteur dit, deux comme ça, un comme ci et continue la conversation comme si de rien n’était…Le salaud n’est pas capable de faire l’amour dit l’une, ces enfants m’énervent dit une autre en autant de bribes de phrases captées en passant.
La rue, encore moins un marché, me dis-je ne devrait pas servir de lieu de conversations intimes et en plus qui veut partager de force les discussions de tout un chacun? M'enfin, c’est le temps dans lequel nous vivons.
Et tout comme son début le matin, sans fanfares ni trompettes, le marché ferme, tout un chacun commence à ramasser son étal au grand dam des retardataires qui continuent de faire leur course malgré tout, arrachant presque des mains des marchands les légumes qu’ils s’apprêtent à ranger. Voyage oblige d’un côté, car il y a un autre marché ailleurs demain, de l’autre, la ville est stricte, le marché ferme à quatorze heures. Les débardeurs sont déjà en attente sur le coin de la rue et les petites moto-aspirateurs sont déjà à l’œuvre se faufilant à travers la foule.
En une demi-heure après la fermeture, on ne pourrait pas dire qu’il y a eu un marché, tout est propre et en ordre et le trafic a vite repris ses droits jusqu'à vendredi prochain.
Le temps
Le temps, le temps n’est rien d’autre, nous dit la chanson d’Aznavour. Le temps, jamais une chose n’a autant fascinée l’être humain, ni si longtemps préoccupée les hommes.
Ah, si j’avais le temps, je ferai ci ou ça. Si je pourrais arrêter le temps et maitriser l’espace qui m’entoure? Et si en réalité, je pouvais maitriser le temps, ramener l’espace physique à mon niveau, qu’en ferais-je au juste de ce temps arrêté. Si j’arrête le temps, continue t’il de passer dans d’autres dimensions?
Paul, tout philosophe qu'il est, assis sur un banc du parc, regarde d'un oeil les enfant qui batifolent dans le bassin public et de l'autre intérieurement se questionne:
Mais au fait qu’est-ce que le temps?
On l’a défini de plusieurs façons : une suite ininterrompue de séquences instantanées, intimement liés, indénouables, insécables. Un moment de l’espace compris entre deux points. Un pont entre ce que nous nommons passé et futur.
Pour le commun des mortels, nous tous, le temps peut être vue différemment, comme étant relié à un facteur physique, un marqueur de passage, le 22 février à 16h par exemple. Pour ceux-là, le temps est une limite précise de l’espace, de la durée. Il est un facteur déterminant de leur quotidien et sert même de support sur lequel s’appuyer, un point de référence : Age, durée d’une action, mesure.
Du point de vue scientifique, le temps peut être vue sous plusieurs angles, temps relatif, passé, présent, futur. Temps réactif, distance de voyage de la lumière. Il est décortiqué, mesuré de façon précise, du moins accepte t-on ces principes comme des réalités.
Mais, le temps comporte des secrets que l’esprit humain a du mal à concevoir et même à accepter.
Le temps en soi est infini, immuable. Il n’a jamais commencé et ne finira pas. De sorte que, ni le passé, ni le futur n’existent, ce ne sont que des séquences d’un présent qui fut et qui sera. Certains faits cités dans différents ouvrages scientifiques tendent à prouver que ce que nous appelons passé ou futur, ne sont en réalités que des dimensions du temps inscrites dans un continuum sans fin.
Ce qui revient à amener l’hypothèse d’un temps tridimensionnel et parallèle. Nous vivrons ainsi dans trois dimensions de temps simultanées, passé, présent et futur, sont inscrits dans un même momentum, un seul continuum. Il suffirait de pouvoir « sortir » du temps physique actuel pour se plonger dans le futur ou dans le passé.
D’où l’idée d’un monde parallèle qui a longtemps nourri et qui continue de nourrir l’imaginaire des hommes et les voyages dans le temps. Certains faits, en effet, inexpliqués sont pour le moins bizarre. Qui n’a pas eu à un moment donné l’impression en posant un geste, en allant quelque part, d’avoir vécu ce moment-là, tel qu’il le voit? Le fameux déjà-vu. Cette impression d’avoir, vu les mêmes gens, dit les mêmes mots, fait les mêmes gestes. Comme si un film au ralenti se projetait devant nos yeux et dont nous aurions été l’acteur et le spectateur tout à la fois.
Paul ouvre ses yeux, les enfants sont partis...Combien de temps suis-je rester à rêvasser ainsi se demande t'il? Le temps s'était arrêter et pour lui tout ce qui comptait c'est le présent, assis sur ce banc.
Le temps, le temps n’est rien d’autre, nous dit la chanson d’Aznavour. Le temps, jamais une chose n’a autant fascinée l’être humain, ni si longtemps préoccupée les hommes.
Ah, si j’avais le temps, je ferai ci ou ça. Si je pourrais arrêter le temps et maitriser l’espace qui m’entoure? Et si en réalité, je pouvais maitriser le temps, ramener l’espace physique à mon niveau, qu’en ferais-je au juste de ce temps arrêté. Si j’arrête le temps, continue t’il de passer dans d’autres dimensions?
Paul, tout philosophe qu'il est, assis sur un banc du parc, regarde d'un oeil les enfant qui batifolent dans le bassin public et de l'autre intérieurement se questionne:
Mais au fait qu’est-ce que le temps?
On l’a défini de plusieurs façons : une suite ininterrompue de séquences instantanées, intimement liés, indénouables, insécables. Un moment de l’espace compris entre deux points. Un pont entre ce que nous nommons passé et futur.
Pour le commun des mortels, nous tous, le temps peut être vue différemment, comme étant relié à un facteur physique, un marqueur de passage, le 22 février à 16h par exemple. Pour ceux-là, le temps est une limite précise de l’espace, de la durée. Il est un facteur déterminant de leur quotidien et sert même de support sur lequel s’appuyer, un point de référence : Age, durée d’une action, mesure.
Du point de vue scientifique, le temps peut être vue sous plusieurs angles, temps relatif, passé, présent, futur. Temps réactif, distance de voyage de la lumière. Il est décortiqué, mesuré de façon précise, du moins accepte t-on ces principes comme des réalités.
Mais, le temps comporte des secrets que l’esprit humain a du mal à concevoir et même à accepter.
Le temps en soi est infini, immuable. Il n’a jamais commencé et ne finira pas. De sorte que, ni le passé, ni le futur n’existent, ce ne sont que des séquences d’un présent qui fut et qui sera. Certains faits cités dans différents ouvrages scientifiques tendent à prouver que ce que nous appelons passé ou futur, ne sont en réalités que des dimensions du temps inscrites dans un continuum sans fin.
Ce qui revient à amener l’hypothèse d’un temps tridimensionnel et parallèle. Nous vivrons ainsi dans trois dimensions de temps simultanées, passé, présent et futur, sont inscrits dans un même momentum, un seul continuum. Il suffirait de pouvoir « sortir » du temps physique actuel pour se plonger dans le futur ou dans le passé.
D’où l’idée d’un monde parallèle qui a longtemps nourri et qui continue de nourrir l’imaginaire des hommes et les voyages dans le temps. Certains faits, en effet, inexpliqués sont pour le moins bizarre. Qui n’a pas eu à un moment donné l’impression en posant un geste, en allant quelque part, d’avoir vécu ce moment-là, tel qu’il le voit? Le fameux déjà-vu. Cette impression d’avoir, vu les mêmes gens, dit les mêmes mots, fait les mêmes gestes. Comme si un film au ralenti se projetait devant nos yeux et dont nous aurions été l’acteur et le spectateur tout à la fois.
Paul ouvre ses yeux, les enfants sont partis...Combien de temps suis-je rester à rêvasser ainsi se demande t'il? Le temps s'était arrêter et pour lui tout ce qui comptait c'est le présent, assis sur ce banc.
Nous étions des oiseaux
Il fut un temps où tous les hommes savaient et pouvaient voler. Cet art s’est perdu dans le temps et je ne sais pas comment cela m’a été transmis. Toujours est-il qu’un soir, en songe, un esprit m’est apparu et m’a dit que je savais voler. Mais voyons lui-dis-je comment faire pour voler? Très simple, me répond-il il suffit de lever la jambe gauche, se hisser sur la pointe du pied droit et s’élancer dans les airs.
Au matin, le rêve avait disparu de mon esprit et s’est évaporé sans que je n’y prête guère plus d’attention. Puis, un jour que je visitais l'église de ma petite ville, j’étais sur le parvis et comme je m’apprêtais à prendre la première marche. Je perdis pied. Et sans m’en rendre de compte, mon corps a lévité. Je me suis retrouvé dans les airs et j’ai atterri en bas des marches, silencieusement, léger comme une plume.
Je ne comprenais pas du tout ce qui venait de m’arriver, je me suis retourné pour regarder les gens qui se trouvaient figés sur les marches ne sachant quoi penser. Quelqu’un me demanda si j’allais bien. Je tâtais mes membres, rien de cassé. Aucun mal nulle part. Je remuais mes chevilles, rien, bougeais mes jambes, rien.
Je suis reparti sans autre forme de procès. L’expérience me traumatisa. Je ne savais que penser. J’évitais ou descendais les marches avec précaution. Mais l’expérience et la sensation, même brève ressentie, me poursuivait sans cesse. J’ai décidé d’essayer dans la cour de chez moi, sans témoins. Du premier coup, ça a fonctionné! Je n’ai fait que quelques enjambées pour débuter, puis m’enhardissant, j’ai été plus haut par-dessus la clôture jusqu’au toit de la maison du voisin. Mais, l’atterrissage ne fut pas très gracieux et j’ai failli perdre pied. Mon cœur battait la chamade, me demandant comment j’allais redescendre. Simple dit une voix dans ma tête, de la même façon que tu as volé jusqu’ici. J’ai imaginé un instant que si je ratais mon coup j’allais me casser les os. Je cherchais donc une solution de descendre de mon perchoir. Peine perdue! L’arbre le plus proche était trop loin. Crier à l’aide, sans doute, mais comment expliquer ma posture sur le toit?
Je pris mon courage à demain en me disant advienne que pourra. Je levais ma jambe gauche, et, sur la pointe du pied droit, je me suis lancé dans le vide. La sensation de flottement qui m’a submergé était euphorique. Je me sentais libre comme un oiseau et je voudrais poursuivre l’expérience et d’aller plus loin, voir la ville d’en haut. J’imaginais l’épouvante que provoquerait mon apparition dans les cieux de cette petite de campagne où j’habitais.
Personne dans la famille ne connaissait mon secret et je me demandais comment aborder le sujet. J’ai décidé lors du repas d’un soir d’introduire le sujet en douce :
- Saviez-vous que les hommes savaient voler, demandais-je aux parents?
- Voyons Jean, personne n’a jamais vu un homme voler. Oui, bien sur, l’homme a toujours rêvé d’être un oiseau. On connait l’histoire d’Icare dont le père «Dédale eut l'idée, pour fuir la Crète, de lui fabriquer des ailes semblables à celles des oiseaux, confectionnées avec de la cire et des plumes. Il met en garde son fils, lui interdisant de s'approcher trop près de la mer, à cause de l'humidité, et du soleil, à cause de la chaleur. Mais Icare, grisé par le vol, oublie l'interdit et prend de plus en plus d'altitude. La chaleur fait fondre la cire jusqu'à ce que ses ailes finissent par le trahir. Il meurt précipité dans la mer »[1]
C’est le seul exploit connu d’homme volant de leurs propres ailes. On a entendu parler des anges célestes, mais là aussi, nos yeux humains n’en ont jamais vus, continua mon père.
- Alors explique-nous cette histoire d’homme pouvant voler demanda ma mère? Je ne savais pas quoi lui répondre. Alors mon père a renchéri.
- Est-ce quelque chose que tu as lu dans un livre, mon amour? Non, lui répondis-je, sur le ton des adolescents qui connaissent tout.
- Je sais parce que, je sais voler. Je leur ai conté mon rêve et mon expérience du perron de l'église, mais, sans dévoiler mon atterrissage sur le toit du voisin.
- Voyons Jean, ce n’est qu’un rêve. Ce qui est arrivé, tu l’as rêvé. Si c’était vrai, les gens en parlerait et ni ta mère ni moi avons entendu une histoire de la sorte dans le village.
- Je vous montrerai leur dis-je. J’ai laissé ainsi la conversation, laissant mes parents avec ces regards perplexes de parents pensant que leur garçon était dérangé.
Le repas se termina sans que d’autres mots à ce sujet ne furent échangés. Je continuais mes vols en cachette dans des champs isolés m’aventurant de plus en plus loin et de plus en plus haut. Voir la terre de cette perspective était enivrant. Je me sentais libre comme l’air, je faisais des voltiges et m’amusais à poursuivre les oiseaux qui me regardaient ébahis. Il se demandait sans doute, comment fait-il pour être là sans ailes à flotter dans les airs comme ça. Au fait, c’est justement la sensation que j’avais, flotter dans l’air.
Une fin de semaine, nous sommes allés à la campagne, au chalet avec mes parents, et là, j’ai décidé de leur montrer que je savais voler. Ils étaient assis tous deux face au lac dans des chaises longues, je suis passé par-dessus d’eux et je me suis tenu au-dessus du lac comme suspendu à un fil.
- Vous voyez, leur dis-je. Je vole. Sans ailes, sans filet.
Leurs yeux étaient écarquillés et de leurs bouches ouvertes, pas un son ne sortait. Mon père s’est levé d’un bon comme pour pouvoir m’attraper allongeant les bras vers le lac. D’un bond, j’avais disparu en arrière de lui, riant à tue-tête. Je faisais des arabesques dans le ciel. Ma mère me criait de descendre de là, que j’allais me faire mal. J’ai atterri en douceur sous leurs regards attendris et tous les deux se précipitèrent vers moi. Me tâtant de partout pour s’assurer que j’étais bien là en chair et en os et que je n’avais rien de cassé.
-Je suis tout à fait normal leur ai-je dit. J’ai l’intention de faire une démonstration pour toute la ville. Ils refusèrent d’emblée disant que les gens de la ville vont nous prendre pour des extra-terrestres ou des sorciers. Peut-être voudront-ils même nous tuer. Les gens n’aiment pas ce qu’ils ne peuvent pas comprendre, ni expliquer dit mon père. Tu ferais mieux de garder ton secret pour toi et de ne pas le montrer en public.
Je décidai de suivre leurs conseils jusqu’au jour en rentrant à la maison après l’école, un enfant pleurait à chaudes larmes à cause de son chat qui avait grimpé dans un arbre et qui ne pouvait redescendre. Sans penser une seconde, je levai ma jambe gauche et sur la pointe des pieds, m’élançait dans les airs pour aller secourir son petit chat.
Tous mes amis de l’école applaudissaient à tout rompre. L’enfant était tout heureux d’avoir retrouvé son chat et est parti sans m’avoir remercié et sans que cela l’eut étonné. La nouvelle fit le tour du village en un rien de temps. Le maire s’est présenté chez nous pour me féliciter et de dire à mes parents s’ils se rendaient compte de la publicité formidable que cela allait apporter à notre petit village. Il voyait déjà les touristes déferler en grand nombre, les commerces fleurissants. Le curé voulait, quant à lui, me bénir et m’exorciser. Ce n’est pas normal, disait-il. Le médecin, ami de la famille, qui prenait soin de nous, depuis notre enfance, a tenu à m’ausculter et a dit triomphant que tout allait bien.
Je suis devenu en quelques minutes un animal de cirque. Sous les coups de dix-huit heures, on frappa à la porte et une jeune journaliste flanqua son microphone au visage de mon père alors que la caméra tournait. Les questions fusaient à cent à l’heure. Ma mère me tenait serrée tout contre elle, elle ne voulait pas que j’aille me montrer à cette journaliste.
Mon père essaya de répondre le plus naturellement du monde en expliquant que c’est un art que les hommes ont perdu, que c’était un phénomène normal. La journaliste, quant à elle, n’était intéressée qu’à voir et observer le phénomène. Sur ce, il referma la porte, laissant la journaliste et son caméraman pantois devant la porte. Elle se tourna vers la foule qui s’était amassée devant chez nous cherchant de bribes d’informations pouvant alimenter le prochain journal télé.
Mon père, une fois rentré alluma le téléviseur et les images du village étaient sur toutes les chaines. Nous étions devenus une curiosité grâce à moi et surtout malgré moi.
Je me refusais à toute manifestation publique de vol et la nouvelle mourut de sa belle mort pour ne devenir qu’une légende. Mes parents ont dû déménager à mon grand regret dans une autre ville et je n’ai plus jamais voler, même pas en cachette. Mais, à chaque fois que je traverse une flaque ou que j’enjambe un parapet, il me faut souvenir de passer la jambe droite avant au lieu de la gauche. À chaque fois que je lève la jambe gauche, mon pied droit se met sur les orteils, prêt à l’envol.
[1] Source Wikipédia